Enfants traumatisés ou combattants ? « Esprit de justice » appréhende cette semaine la question du retour des enfants de combattants djihadistes du point de vue du droit.
Esprit de Justice – Présenté par Antoine Garapon sur France Culture le 26 mai 2021
Le retour des familles et des enfants de la zone irako-syrienne pose problème parce que certains de ces enfants sont traumatisés alors que d’autres, qui ont été recrutés par l’État islamique et à ce titre, ont peut-être commis des actes de violence, peuvent menacer l’ordre public. Le gouvernement renâcle à organiser leur retour en raison de leur dangerosité. Ceci soulève la question non seulement de la prise en charge de ces enfants de retour de zone de guerre, mais plus généralement celle de la légalité de la position du gouvernement, qui sont étroitement liées.
Esprit de justice tentera d’y répondre en compagnie de Thierry Baubet, professeur de psychiatrie de l’enfant à l’Université Paris 13, chef de service de pédopsychiatrie de l’hôpital Avicenne à Bobigny et responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique de Seine-Saint-Denis, Marie Dosé, avocate et Maurween Veyret-Morau, psychologue clinicienne.
Le retour des enfants de la zone irako-syrienne, une question humanitaire ?
« Certains enfants sont dans les camps depuis plus de trois ans. Une grande partie d’entre eux est là depuis plus de deux ans. Ils ne bénéficient absolument pas de soins adaptés. Il y a d’énormes problèmes liés aux maladies et aux pandémies. Ce sont des enfants qui sont traumatisés et sont en état de souffrance. L’aide humanitaire ne parvient pas ou très difficilement dans ces camps. Nous sommes face à une situation humanitaire catastrophique qui n’est d’ailleurs contestée par personne puisqu’elle est renseignée ». Marie Dosé
« Certains sont nés là-bas, la plupart y sont arrivés à l’âge de deux, trois ou quatre ans. Eux n’auront pas et n’ont pas le souvenir de la Syrie et de l’État islamique. Leurs souvenirs, leurs premiers traumas, c’est le camp. Ils sont dans un camp parce que la France refuse de les rapatrier. » Marie Dosé
« Oui, ces femmes doivent répondre de leurs actes, mais elles ne sont judiciarisées qu’en France. Elles ne peuvent pas être jugées là-bas. Il n’y a pas de cour pénale internationale là-bas. Il y en aura jamais. Il n’y a pas de juridiction internationale ad hoc. L’Irak a dit « Nous ne sommes pas un dépotoir à djihadistes européens. On ne les jugera pas « . Et les Kurdes disent « On ne peut pas, et on ne veut pas les juger. » De toute façon, le Rojava n’est pas un État souverain. Il faut les juger en France. Elles se sont radicalisées en France. Elles sont parties de France. Elles sont françaises. C’est notre histoire ». Marie Dosé
« Plus on attend, plus on crée du traumatisme chez ces enfants et plus la prise en charge va être très compliquée. La violence des camps fait mal. L’enfance qu’on leur vole est un traumatisme supplémentaire. Ils doivent être pris tout de suite entre les mains de spécialistes et doivent retrouver leur pays. Que fait on payer à ces enfants ? De quoi sont ils coupables ? » Marie Dosé
Sur la prise en charge de ces enfants par les professionnels de la santé
« Il peut y avoir de la crainte, de l’appréhension. Il peut y avoir aussi d’autres choses, comme une sorte de sentiment d’être en mission auprès de ces enfants et de vouloir faire beaucoup plus que ce qu’on ferait avec d’autres enfants présentant les mêmes troubles. Il peut y avoir une forme de fascination, parfois effectivement un peu morbide, de vouloir voir ces enfants presque comme des bêtes curieuses. Il y a là un point extrêmement important. Tous les enfants, et ceux-là les premiers, ont besoin d’être considérés comme des enfants, un droit à la normalité, et un droit à avoir tous les avenirs ouverts. » Thierry Baubet
« La prise en charge de ces enfants, est sûrement particulière dans le regard qu’on porte sur eux et dans ce qu’on imagine de leur histoire, de leur parcours, de leurs parents. Cela va teinter l’attitude des professionnels et la capacité ou l’incapacité à pouvoir bien prendre en charge ces enfants. (…) Je crois qu’en tant que professionnels autour de ces enfants, on est très marqué par ces événements-là (les attentats terroristes, ndlr ). On est collectivement traumatisés et du coup, c’est difficile d’avoir un regard de bienveillance, d’accueil de l’enfant tel qu’il est, avec ses besoins, avec son trauma, son histoire, et avec son nom, parfois. » Maurween Veyret-Morau
« La question des traumatismes, des carences affectives et du manque de soutien des enfants n’est pas nouvelle. Les psys la connaissent depuis longtemps. Ce qu’il y a de très clair comme enseignement, c’est que la durée d’exposition à un contexte désorganisé, à l’absence de soins adéquats et à l’absence de soutien au développement, est un facteur déterminant. On peut vivre des traumatismes et s’en relever avec du soutien, un environnement et une aide adéquate. Les traumatismes additionnés à l’absence d’aide et de soins aggravent les choses de manière proportionnelle au temps passé. Pour le développement de ces enfants, et pour les adultes qu’ils seront, il y’a une forme d’urgence à les protéger. » Thierry Baubet